Une pratique largement répandue au sein des institutions d’enseignement supérieur consiste à réaliser l’évaluation des enseignements par les étudiant·e·s par l’intermédiaire de questionnaires (Bernard et al., 2000 ; Sylvestre et al., 2016). Cette approche permet aux différentes actrices et acteurs de l’enseignement d’obtenir des données utiles et complètes, quelle qu’en soit la visée (formative ou administrative). En contexte institutionnel il faut cependant être attentif à l’impact émotionnel de l’usage de cet outil auprès des enseignant·e·s, qui peut être parfois teinté de négativité (Barras, 2017). Cette situation peut notamment survenir lorsque la finalité de l’évaluation n’est qu’implicite pour les enseignant·e·s et les étudiant·e·s ou qu’elle vise à contrôler la prestation de l’enseignant·e, engendrant alors une forme de résistance ou de méfiance de part et d’autre, et un risque de perte de sens de l’évaluation. Dans ce cas, ou pour favoriser le partage d’un sens commun entre enseignant·e·s et étudiant·e·s, d’autres méthodologies peuvent aussi être mises en œuvre.
La méthode de photo-expression
La photo-expression, une méthode inspirée du Photolangage® (Baptiste, Belisle, Pechenart et Vacheret, 1991) et utilisée dans divers domaines comme l’éducation thérapeutique, permet de recueillir le point de vue des étudiant·e·s sur un enseignement dans un cadre bienveillant tant pour les étudiant·e·s que pour les enseignant·e·s. En sélectionnant la photographie qui correspond le mieux à leur ressenti, elle aide les participant·e·s à verbaliser leur expérience, à prendre conscience de leurs propres représentations tout en les confrontant à celles des autres. Cette activité regroupe 2 avantages : produire un feedback sur l’enseignement, et être utile aux étudiant·e·s pour renforcer leur expérience d’apprentissage.
Mise en œuvre
A l’UNIL, la mise en oeuvre d’une activité de photo-expression se déroule en 4 étapes, et se base sur un jeu de 40 photographies libres de droit et adaptées au contexte de l’enseignement supérieur. Ces images sélectionnées par le CSE permettent de projeter des ressentis divers reliés aux différentes théories et approches de l’apprentissage : behaviorisme, cognitivisme, constructivisme et socio-constructivisme.
Différents sites permettent de choisir des images, comme les banques d’images libres de droit ou des dossiers d’images présélectionnées. Vos photos peuvent représenter différents sujets tels que des objets, des mises en situation, des paysages, etc. L’essentiel est de proposer une diversité de sujets et d’interprétations.
1. Rencontre préparatoire avec un·e conseiller·ère pédagogique
Cette étape sert à définir le cadre, les attentes de l’enseignant·e, et la ou les questions qui seront posées (selon des points sur lesquels l’enseignant·e souhaite obtenir un feedback en particulier).
Exemples de question :
- Réfléchissez à une situation pour laquelle vous avez eu le sentiment d’avoir très bien appris quelque chose. Choisissez une photographie vous permettant d’exprimer au mieux cet expérience d’apprentissage.
- Quelle est l’image qui représente le mieux l’approche de ce cours, selon vous ?
- Quelle est l’image qui correspond le mieux à ce que vous avez vécu durant cet enseignement/ce travail de groupe ?
2. Organisation de la séance
Un groupe de 7-15 étudiant·e·s est constitué au préalable. Pour les grandes classes, un appel aux volontaires et une sélection sont organisés pour assurer la représentativité des étudiant·e·s.
Les participant·e·s sont ensuite invité·e·s à une séance d’une heure en présentiel, et en l’absence de l’enseignant·e.
Avant la séance, la salle est aménagée en plaçant les chaises en cercle.
3. Séance de photo-expression
Une séance dure environ 40 minutes. L’animateur·rice prend 5 minutes pour expliquer le cadre et le déroulement de la séance. Il ou elle dispose ensuite les 40 photographies sur une table et énonce à haute voix la (première) question, qu’il explicite au besoin. Il ou elle demande aux participant·e·s de choisir l’image qui correspond le mieux à sa réponse à la question posée. Les étudiant·e·s ont 5 minutes pour choisir une photo, individuellement et en silence. Les étudiant·e·s vont ensuite, chacun·e leur tour, indiquer l’image qu’ils ou elles ont choisie et expliciter les raisons de leur choix. L’animateur·rice peut demander d’approfondir ou clarifier davantage ce choix. Durant l’activité une 2e personne assure la prise de notes.
Les 10 dernières minutes de la séance seront consacrées à réagir sur la méthode et sur ce qui a pu être dit.
Exemples de réponse d’étudiant·e·s :
«On gravit un sommet […] C’est difficile, mais chouette ce que l’on traverse ensemble […] Les profs s’investissent […] J’ai aimé la pratique.» (étudiant·e 3, S2)
« C’est l’effort de tout le monde […] C’est dur de monter, mais le paysage est beau […] On est un groupe, on a surmonté nos difficultés ensemble.» (étudiant·e 1, S2)
«Le carnet de notes sur la photo est blanc et il représente le fait que l’enseignement était un peu flou. C’est un point négatif par rapport à ce que j’aime faire.» (étudiant·e 7, S2)
«Si au début je ne savais pas trop comment faire pour les activités […] maintenant je fais plus attention, même en dehors du cours, dans ma vie aussi.» (étudiant·e 4, S2)
4. Séance de restitution
Après la séance, l’animateur·rice rédige avec la personne ayant assuré la prise de notes un rapport recensant les points discutés durant la phase d’échange, en mettant en avant les thématiques communes.
Le rapport est présenté à l’enseignant·e lors d’une séance de restitution et ouvre sur une réflexion plus large sur son enseignement. Cette séance peut déjà permettre d’identifier des pistes d’amélioration.
Retour d’expérience de la méthode
Les retours des enseignant·e·s et des étudiant·e·s que nous avons accompagné·e·s sont très positifs quant à la démarche proposée, jugée complémentaire aux outils et méthodes habituellement utilisés pour l’évaluation des enseignements par les étudiant·e·s, notamment pour avoir suscité de profondes interactions et partages de réflexion sur les enseignements en question.
Cette démarche fait désormais partie des outils alternatifs aux questionnaires dans le cadre du dispositif d’évaluation des enseignements par les étudiant·e·s au sein de notre institution. Il est envisagé de diffuser plus largement cette pratique et de proposer des séries de questions validées empiriquement permettant de couvrir différentes thématiques liées à l’enseignement dans le supérieur.
Conditions de succès :
- Importance du cadre (respect des consignes, organisation, à la demande de l’enseignant·e, etc.)
- Implication distanciée de l’animateur·rice
- Ouverture de l’enseignant·e, disponibilité pour les étudiant·e·s
Limites :
- Encore peu d’intérêt des enseignant·e·s
- Spécificités des enseignements
- Temps nécessaire
- Expérience de l’animateur·rice nécessaire
Bibliographie
Baptiste, A., Belisle, C., Pechenart, J. M., & Vacheret, C. (1991). Photolangage®: une méthode pour communiquer en groupe par la photo. Les Éditions d’organisation.
Barras, H. (2017). Impact émotionnel de l’évaluation de l’enseignement par les étudiants (EEE) chez les enseignants d’une haute école en Suisse. Éducation & Formation, 73. https://fredi.hepvs.ch/hepvs/documents/321358
Bernard, H., Postiaux, N. & Salcin, A. (2000). Les paradoxes de l’évaluation de l’enseignement universitaire. Revue des sciences de l’éducation, 26(3), 625–650. https://doi.org/10.7202/000293ar
Sylvestre, E., Barras, H., Blondeau, M. & Boulvain, M. (2016). Au-delà de l’évaluation des enseignements par questionnaires. In A. Daele & E. Sylvestre (Ed.), Comment développer le conseil pédagogique dans l’enseignement supérieur ? (pp. 223- 237). Bruxelles : De Boeck supérieur.
Le contenu de cet article est tiré de la communication de E. Sylvestre et M. Antille au 34e colloque de l’ADMEE-Europe (2023, 3 avril) : Évaluer autrement les enseignements dans le supérieur en utilisant la photo-expression.