La période de pandémie de Covid-19 a mis fortement sous tension l’enseignement supérieur et a contribué à accentuer certaines inégalités entre les étudiant·e·s. Le passage de l’enseignement à distance, par exemple, a pu impacter négativement l’expérience d’apprentissage des étudiant·e·s à besoins spécifiques ou celle des étudiant·e·s ayant de faibles compétences numériques. La difficulté à entretenir des liens sociaux durant cette période a également renforcé l’isolement de certain·e·s étudiant·e·s comme ceux en mobilité internationale.

Ces éléments ressortent du rapport du groupe de travail thématique « Learning & Teaching » de l’European University Association (2021) questionnant les notions d’inclusion et d’équité dans l’enseignement supérieur. Ce rapport a pu mettre en avant la nécessité de renforcer une une approche inclusive dans les établissements d’enseignement supérieur européens, les défis sous-jacents à cette implémentation ainsi que des recommandations pour les relever.

Quelques mots sur la notion d’inclusion

En pédagogie, comme l’illustre l’image ci-dessus, nous pouvons distinguer :

  • La notion d’égalité qui consiste à offrir à l’ensemble des étudiant·e·s les mêmes conditions d’études, les mêmes activités d’apprentissage et d’évaluation ;
  • La notion d’équité qui consiste à offrir des conditions d’études, des activités d’apprentissage et d’évaluation différentes en fonction des besoins spécifiques des étudiant·e·s (comme p. ex. la pédagogie différenciée, l’aménagement des examens, etc.) ;
  • La notion d’inclusion : « La pédagogie inclusive vise le développement du plein potentiel de tous les étudiants (Bergeron, Rousseau et Leclerc, 2011). Elle postule qu’il n’existe pas d’apprenant typique et que la diversité est la norme (Meyer, Rose et Gordon, 2014). D’emblée, l’approche inclusive reconnaît donc la variété des besoins d’apprentissage selon les individus. Cette approche reconnaît également que chez un même individu, les besoins d’apprentissage fluctuent dans le temps et dépendent des contextes. » (SSE, Université de Laval, 2017, p.7)

Bien avant cette période de pandémie, l’approche inclusive était une tendance forte au niveau européen. Par exemple, le « Communiqué de Paris » (2018) invitait déjà les autorités à renforcer la dimension sociale dans le cadre du processus de Bologne, pour permettre de « refléter au mieux la diversité des populations en Europe » et d’améliorer « l’accès et la réussite des groupes sous-représentés et vulnérables ». Le « Communiqué de Rome » (2020) et notamment l’annexe 3 a renforcé cette position en faisant référence à la mise en œuvre effective d’une approche centrée sur l’apprentissage des étudiant·e·s, notamment en demandant de « créer un environnement favorable […] qui permette aux établissements d’enseignement supérieur d’adapter l’offre d’enseignement aux besoins des différents types d’apprenants (apprenants tout au long de la vie, à temps partiel les apprenants, les apprenants des groupes sous-représentés et défavorisés), et de construire une culture d’équité et d’inclusion. ». Mais dès lors, comment déployer une approche inclusive et équitable au sein de nos institutions ?

Trois défis majeurs

Dans la mise en œuvre concrète d’une approche inclusive et équitable, le rapport de l’EUA (2021) met en exergue trois défis actuels principaux pouvant entraver son déploiement dans les établissements d’enseignement supérieur :

  • Le manque de mesures et d’initiatives concrètes pouvant par exemple s’expliquer par une absence de politique institutionnelle ou une communication complexe entre les différents partenaires au sein de l’institution.
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  • La « pauvreté numérique » et l’inclusion numérique dont l’importance a été mise en évidence depuis la pandémie et s’exprimant par le manque d’équipements des étudiant·e·s, un faible niveau de compétences numériques, l’absence d’une ligne directrice claire sur l’utilisation des outils numériques dans les établissements ou l’isolation des étudiant·e·s.
  • La formation des enseignant·e·s (sur la thématique de l’inclusion en particulier) qui n’est généralement pas perçue comme ayant un impact majeur sur la réussite des étudiant·e·s ou qui n’intègre pas systématiquement les principes de la Conception Universelle de l’Apprentissage.

Des recommandations concrètes de l’EUA

 Afin de dépasser ces défis, l’EUA propose différentes recommandations comme :

  • Intégrer de manière explicite la notion d’inclusion et d’équité dans les structures institutionnelles existantes ;
  • Impliquer les étudiant·e·s dans des projets concernant l’enseignement et l’apprentissage et portant sur l’accessibilité au niveau physique, psychologique et social ;
  • Mettre en place un programme social pour soutenir l’accès aux outils informatiques ;
  • Mettre en place un accès central pour toutes les questions relatives au e-learning à la fois pour les enseignant·e·s et pour les étudiant·e·s ;
  • Accompagner les enseignant·e·s dans leur développement professionnel sur les questions d’inclusion, etc.

Agir en renforçant les compétences pédagogiques des enseignant·e·s

Du point de vue pédagogique, renforcer les compétences des enseignant·e·s sur les principes de la Conception Universelle de l’Apprentissage (CUA) par la formation continue semble être une piste prometteuse comme le souligne Bunescu (2021). La CUA comprend un ensemble de principes pédagogiques permettant de développer un enseignement ou un programme d’études favorisant l’apprentissage de l’ensemble des étudiant·e·s. Les objectifs d’apprentissage, les stratégies d’enseignement et les méthodes d’évaluation sont choisis par l’enseignant·e ou l’équipe pédagogique pour fonctionner pour l’ensemble des étudiant·e·s (Rose et Meyer, 2002) et non pour fonctionner par rapport aux besoins spécifiques d’un groupe d’individus, ce qui est en accord avec la définition de la notion d’inclusion présentée ci-dessus.

Le guide pour implémenter les principes de la CUA conçu par le Center for Applied Special Technology (CAST) semble être une référence pour développer cette approche. Il propose de se focaliser sur trois catégories d’actions à intégrer dans son enseignement afin de diversifier les modes de « représentation », « d’action et d’expression » et « d’engagement » (cf. figure ci-dessous).

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Ces lignes directrices peuvent être utilisées par les institutions d’enseignement supérieur pour développer différentes activités de développement professionnel des enseignant·e·s. Nous présentons ci-dessous quelques exemples d’activités de développement professionnel des enseignant·e·s suivant ces lignes directrices.

A. Un guide pratique pour intégrer une approche inclusive dans son enseignement en auto-formation

Le Service de soutien à l’enseignement de l’Université Laval de Québec a développé et regroupé un ensemble de ressources permettant aux enseignant·e·s de développer leurs compétences sur le sujet de manière autonome ou en bénéficiant d’un accompagnement pédagogique. La vidéo ci-dessous présente la démarche ainsi que l’appui fourni par la structure d’appui pédagogique de l’Université Laval.

Le « Guide pratique – Adopter une approche pédagogique inclusive » propose une série d’activités permettant aux enseignant·e·s d’expérimenter la démarche, comme l’exemple ci-dessous, extrait de la page 17 :

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B. Un Webinaire pour sensibiliser les enseignant·e·s

Dans le cadre des activités de formation proposées par le Centre de soutien à l’enseignement de l’Université de Lausanne, j’ai pu animer, avec ma collègue Marie Stöcklin, un webinaire d’une durée de 1h30 présentant les trois principes de la CUA. Nous avons présenté des exemples d’application de ces principes en fonction des différentes activités pédagogiques de l’enseignant·e (Sylvestre et Stöcklin, 2021). Ce padlet est ouvert aux contributions externes afin de développer un répertoire d’activités le plus complet possible.

En fin de webinaire, une activité réflexive a été proposée pour permettre aux enseignant·e·s de concevoir une séance d’enseignement intégrant les principes de la CUA :

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Enfin des ressources complémentaires ont été regroupées au sein d’un padlet afin de permettre aux enseignant·e·s d’approfondir le sujet que ce soit sur des aspects théoriques ou sur des aspects pratiques. La fiche ci-dessous présente par exemple huit activités pour renforcer le sentiment d’inclusion auprès de ses étudiant·e·s.

C. Un programme d’accompagnement pédagogique

Sous la forme d’un appel à projet, l’Université de Sherbrooke propose un programme intitulé « Oser l’approche inclusive 2020 » permettant de soutenir les enseignant·e·s par un accompagnement pédagogique et un soutien financier.

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Les enseignant·e·s peuvent bénéficier d’un accompagnement personnalisé, des ateliers de partage de pratiques et un accès à des ressources complémentaires. Les objectifs de ce programme sont de permettre aux enseignant·e·s de :

  • « planifier une adaptation de pratique enseignante dans une approche inclusive en cohésion avec son contexte d’enseignement;
  • concevoir une stratégie pour limiter les obstacles à l’enseignement et à l’évaluation des apprentissages selon une approche inclusive, et ce, en cohésion avec son contexte d’enseignement;
  • mettre en œuvre des stratégies permettant de limiter les obstacles à l’apprentissage;
  • évaluer les retombées de l’adaptation réalisée sur l’accessibilité de l’apprentissage et sur la réussite.« 

D. Une communauté de pratique

En complément des ressources d’auto-formation mis à disposition par l’Université Laval de Québec un « Programme d’appui au développement d’une approche inclusive » est proposé sous la forme d’un appui financier et d’une intégration dans une communauté de pratique. Les objectifs de ce programme (p. 4 du document) sont de permettre aux enseignant·e·s de :

  • « Se positionner dans une démarche d’enseignement inclusif;
  • Revoir, si nécessaire, la structure d’un cours et les objectifs d’apprentissage;
  • Repenser les méthodes pédagogiques, les activités d’apprentissage et le processus d’évaluation des apprentissages d’un cours;
  • Modifier, si nécessaire, le site de cours en fonction de l’approche inclusive;
  • Adapter des activités pédagogiques et des évaluations existantes ou en développer de nouvelles en fonction de tous les étudiants et des objectifs du cours;
  • Expérimenter de nouvelles méthodes pédagogiques;
  • Partager leur expérience à partir des constats découlant du processus d’adaptation.« 

Pour l’enseignant·e, cet accompagnement se déroule en 3 phases : la modification de son enseignement en s’inspirant des principes de la CUA ; l’expérimentation concrète et la collecte de données ; le partage d’expérience. Ce travail vise à influer sur la posture de l’enseignant·e, en l’orientant vers une posture de « praticien réflexif » voire de « praticien chercheur » (Bédard, 2014).

En guise de conclusion

Des actions concrètes existent donc pour développer les principes de la CUA dans les établissements d’enseignement supérieur en se focalisant sur la formation des enseignants. Ces actions peuvent être soutenues à un niveau institutionnel, souvent portées par des structures d’appui pédagogique, ou à un niveau facultaire, notamment pour le développement de communautés de pratique.

Des recherches montrent des effets positifs sur le processus d’apprentissage des étudiant·e·s (Capp, 2017), la qualité perçue des enseignements et du matériel pédagogique développé par les enseignant·e·s (Schelly, Davies & Spooner, 2011). Et même si peu d’études ont testé de manière empirique l’impact de la formation des enseignant·e·s du supérieur sur les principes de la CUA, Häggblom (2020) a pu montrer qu’une série d’ateliers sur les principes de la CUA permettait aux enseignant·e·s d’acquérir une méthodologie durable pour accroître la participation de l’ensemble des étudiant·e·s grâce à un enseignement centré sur leur apprentissage. Il est bien entendu, comme le mentionne Bunescu (2021), que l’introduction d’une telle approche doit s’inscrire dans un agenda institutionnel afin de maximiser l’impact des solutions déployées et de rendre durables les actions menées.


Pour aller plus loin…

Bédard, D. (2014). Chapitre 5. Être enseignant ou devenir enseignant dans le supérieur : telle est la question… de posture ! In G. Lameul (éd.), La pédagogie universitaire à l’heure du numérique: Questionnement et éclairage de la recherche (pp. 97-109). Louvain-la-Neuve, Belgique: De Boeck Supérieur.

Bergeron, L., Rousseau, N. et Leclerc, M. (2011). La pédagogie universelle : Au cœur de la planification de l’inclusion scolaire. Éducation et francophonie, 39(2), 87-104.

Bunescu, L. (2021, february). Achieving inclusion in higher education by design.

Capp, M. J. (2017). The effectiveness of universal design for learning: A meta-analysis of literature between 2013 and 2016. International Journal of Inclusive Education, 21(8), 791-807.

EHEA (2018, mai). Communiqué de Paris.

EHEA (2020, novembre). Communiqué de Rome.

European University Association (2021, March). Approaches in learning and teaching to promoting equity and inclusion. Learning & Teaching paper #12. Brussels : EUA.

Häggblom, P. (2020). The impact of Universal Design for Learning in higher education. Experiences of university teachers two or three years after attending a workshop series on UDL.

Rose, D.H. et Meyer, A. (2002). Teaching every student in the digital age: Universal Design for Learning. Alexandria, VA: Association for Supervision and Curriculum Development.